Le terme « male gaze », littéralement « regard masculin » signifie regarder avec insistance et attentivement, de manière admirative. Dans cet article, nous aborderons la question du regard masculin et ses impacts possibles sur l’industrie de la mode et la société. Le regard masculin transforme les femmes en objet de désir et de plaisir. Aujourd’hui, il est également utilisé dans les médias sociaux où certaines femmes posent en accord avec les attentes de la société qui est souvent axée sur les hommes. Le regard masculin révèle aussi un pouvoir social inégal entre les hommes et les femmes parce qu’il représente les hommes qui observent et les femmes observées.
Laura Mulvey est une théoricienne du cinéma britannique, elle est la première à théoriser le “Male Gaze” en 1975. Dans son essai intitulé « Visual Pleasure and Narrative Cinema », elle jette un regard critique sur les productions cinématographiques et les rôles attribués aux femmes. En outre, elle accorde une grande attention aux prises de vues des caméras utilisées pour montrer le corps des femmes. La théoricienne déclare que les hommes et les femmes ne sont pas dépeints ni observés de manière égale dans les productions cinématographiques. Le fait que l’industrie du cinéma soit majoritairement contrôlée par des hommes peut justifier le regard masculin à travers lequel les femmes sont sexualisées et objectivées. Nos actions et nos looks quotidiens sont fortement influencés par la société dans laquelle nous vivons, donc si l’industrie de la mode appartenant à des hommes dépeint une image perfectionnée et sexualisée des femmes à travers le “male gaze”, cela a un effet durable sur les femmes. Une étude de Price Waterhouse Coopers (PwC) sur le leadership féminin dans l’industrie de la mode a révélé que seulement 12,5 % des entreprises de vêtements et de détail dans le Fortune 1000 sont dirigées par des femmes. Ces résultats font écho à un rapport intitulé « The Glass Runway », réalisé par le magazine Glamour en collaboration avec le Council of Fashion Designers of America et la société de conseil McKinsey & Company. Dans leurs résultats, les femmes ont atteint les cadres moyens, mais restent bloquées.
Selon Laura Mulvey, le regard masculin entraîne la sur-sexualisation des femmes par l’utilisation de méthodes cinématographiques (vues de caméra, focalisation subjective…), elle dit que le but unique de la femme dans un tel film est d’être observée et regardée, la femme n’est que passive pendant que l’homme agit. L’industrie cinématographique permet également à la mode d’exposer et de promouvoir ses créations. Dans le film Suicide Squad (2016), une scène controversée dans laquelle Harley Quinn, jouée par l’actrice Margot Robbie se change; la caméra fait une prise de vue subjective sur son corps en le filmant lentement de bas en haut. C’est un exemple frappant de “Male Gaze”, dans lequel le spectateur observe l’actrice à travers les yeux des hommes, acteurs et producteur.
Cette question évoquée pour la première fois en 1975 est toujours d’actualité, et plus encore ces dernières années avec l’expansion des réseaux sociaux. En effet, le système médiatique dépeint les genres, les corps, les formes dans les magazines, la publicité, les productions cinématographiques. Il y a notamment un débat autour des médias et chaînes d'information, certains pensent qu'ils exposent des femmes avec de beaux atouts pour attirer plus de téléspectateurs masculins et augmenter les bénéfices. Puisque la publicité est un outil essentiel pour faire des bénéfices et vendre, l’industrie de la mode profite du regard masculin qui dépeint les femmes sexualisées pour vendre plus de produits et augmenter les ventes. L’industrie de la mode a joué un rôle important dans la diffusion du regard masculin à travers des publicités et même des créations qui plairaient aux hommes. Prenons pour exemple des publicités pour parfums où des femmes dénudées sont exposées.
Le regard masculin et le corps féminin sont fortement utilisés comme outils de marketing pour des améliorer les bénéfices. Par ailleurs, il faut rappeler que les corps des hommes sont aussi souvent sexualisés. Certains designers artistiques défendent ces pratiques au nom de l’art et de l’indépendance de l’esthétique. Cependant, l’ancrage historique du regard masculin s’accompagne d’une perspective neutre, comme l’explique la journaliste française Adèle Haenel sur FranceInter, une chaîne de radio française :
« Le regard masculin a été pendant très longtemps associé à un regard neutre, parce que l’immense majorité des films sont produits par des hommes qui regardent des femmes. Il faut dire que ce regard a une origine et a un rapport avec la domination masculine. »
L’ancrage historique de ce regard pose problème car cela signifie qu’il est difficile de le déceler puisque nous y sommes habitués, certaines femmes affirment même qu’elles l’ont intériorisé. Cependant, nous vivons dans une époque où les femmes veulent s’éloigner du “male gaze” vers l’égalité. Il serait trop ambitieux de déconstruire des personnages féminins sexualisés dans des productions cinématographiques, mais le regard masculin devrait être limité. D’où la montée du positivisme et de l’inclusion qui contribuent à inclure des femmes réelles dans la publicité. En novembre 2017, Vogue a publié une vidéo emblématique où Anna Wintour et Meryl Streep apparaissent, cette dernière affirmant : « Nous voulons que les filles soient libres, nous voulons qu’elles soient fières, nous voulons qu’elles soient des femmes… vous les mettez en danger en ne les informant pas du regard masculin et de son fonctionnement sur les jeunes filles ». Ce n’est pas un euphémisme, cette affirmation vise à dénoncer certains comportements et les dangers inattendus auxquels chacun peut être confronté. L’interaction entre la mode et la société est dynamique et étroitement liée, et l’une d’elles affecte irréversiblement l’autre. Les désirs et les objectifs de la société influencent fortement la mode, et le rôle de la mode dans la formation de la pensée sociale et le comportement est également très clair.
Malgré les racines profondes du regard masculin dans l'industrie de la mode et aussi dans les médias, le chemin s'éclaircit car ce problème est reconnu et des mesures sont prises pour le résoudre. Par ailleurs, à travers des mouvements sociaux tels que le mouvement #Metoo dénoncent les comportements dangereux dans l’industrie de la mode, la nouvelle génération est prête à exposer les comportements problématiques.
Estelle R.
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